LA RéSILLE, JOLI COUP DE FILET

Comment cet ouvrage à mailles au fort potentiel érotique, issu du monde du cabaret, cultive un paradoxe unique dans la mode : celui d’habiller et de dénuder le corps en même temps.

Des contes et légendes collectés au début du XIXe siècle par les frères Grimm, il en est un à la fortune singulièrement moins ­éclatante que Blanche-Neige, Cendrillon ou La Belle au bois dormant. L’Intelligente Fille du paysan met en scène une jeune fille et un roi qui lui lance un défi sous forme d’énigme : « Je t’épouserai si tu peux venir vers moi ni habillée, ni nue, ni à cheval, ni en voiture, ni par la route, ni hors de la route. » Ni une ni deux, l’intelligente fille rentre chez elle, se déshabille et ­s’enroule dans un filet de pêche (puis se fait traîner par un âne en prenant soin qu’il chemine dans l’ornière). A son arrivée au château, le roi apprécie la performance et, constatant l’astuce de la demoiselle, fait d’elle la reine.

Ni habillée ni nue : c’est là tout le paradoxe de la résille, qui se dit fishnet en anglais, soit filet de pêche. Cet ouvrage à mailles plus ou moins serrées s’épanouit dans le monde du cabaret. Au début du XXe siècle, les bas de soie se révèlent trop fragiles pour la danse et le Nylon n’existe pas encore. La résille, elle, se prête bien au mouvement et devient une composante essentielle des costumes de scène pour les danseuses de french cancan ou les tenantes du burlesque. Parmi ces dernières, la grande artiste américaine Gypsy Rose Lee, qui porta la résille des pieds… à la poitrine. Autoproclamée « strip-teaseuse intellectuelle », Gypsy révolutionna avec humour et esprit sa discipline. Etait-elle fille de paysans ?

Au chapitre « Strip-tease » de ses célèbres Mythologies, l’écrivain Roland Barthes écrit que les bas résille, tout comme les autres accessoires classiques du music-hall, « éloignent à chaque instant le corps dévoilé, le repoussent dans le confort enveloppant d’un rite connu (…) et se dépouiller d’objets aussi rituels ne participe plus d’un dénuement nouveau ». Le nu qui suit est irréel, lisse, écrit Barthes, dans une « conjuration minutieuse du sexe » qui vise à abolir l’érotisme ou à le domestiquer.

Sexualité assumée

Il n’empêche. Le bas résille en a fait fantasmer plus d’un. Pour celles qui le portent, il est resté du côté de la performance, d’une certaine féminité à la sexualité assumée. L’exact inverse de la coquette voilette derrière laquelle se cachèrent longtemps les discrètes ou les endeuillées. Des pin-up au cultissime Rocky Horror Picture Show (toujours projeté au Studio Galande, à Paris, depuis 1978), la résille passe du premier au second degré, ­tandis que le mouvement punk la malmène, la préférant volontiers trouée, sous des jeans ­déchirés, des jupes en cuir, ou la détournant carrément en mitaine ou en crop top, pour les filles comme pour les garçons.

Depuis, la résille s’est quelque peu embourgeoisée. En changeant de matière et en s’éloignant (un peu) du corps, elle se fait robe, combinaison, chaussures et même hoodie. Signe de son assagissement, elle se marie aujourd’hui avantageusement avec la dentelle ou les sequins, et même les tenues de sport. En 2019, Serena Williams jouait à l’Open d’Australie avec des bas résille rappelant le cordage de sa raquette comme le filet du terrain. Un autre genre de performance qui participa à écrire sa légende. Aujourd’hui, les filles intelligentes n’ont plus forcément besoin de roi pour devenir reines.

L’étoffe transparente, tout voile dehors

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